Le pipeline prévu par le géant français des combustibles fossiles en Afrique de l’Est a dévasté les moyens de subsistance de milliers de personnes et va aggraver la crise climatique mondiale, a alerté l’ONG dans un rapport publié lundi 10 juillet.
Le plan est gigantesque. S’il est achevé, le projet d’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est (EACOP) comprendra des dizaines de plates-formes de puits, des centaines de kilomètres de routes, des camps et d’autres infrastructures, et un pipeline de 1 443 kilomètres reliant les champs pétrolifères de l’ouest de l’Ouganda au port de Tanga dans l’est de la Tanzanie. Largement suffisant pour pousser Human Rights à alerter sur les conséquences « dévastatrices » dudit projet.
Selon HRW, des études ont montré que la construction et l’exploitation de l’EACOP présentent de graves risques environnementaux. Le tracé du gazoduc traverse des écosystèmes sensibles, notamment des zones protégées et des zones humides d’importance internationale, ce qui constitue une menace pour la biodiversité et les écosystèmes dont dépendent les communautés locales pour leur subsistance.
Dans son rapport de 47 pages, l’ONG américaine signale également des « retards de plusieurs années dans le paiement des indemnisations et d’une indemnisation inadéquate » des quelque 100 000 personnes qui vont devoir abandonner leurs terres au profit de l’EACOP.
« EACOP a été un désastre pour les dizaines de milliers de personnes qui ont perdu la terre qui fournissait de la nourriture à leurs familles et un revenu pour envoyer leurs enfants à l’école, et qui ont reçu trop peu de compensation de TotalEnergies », a déclaré Felix Horne, chercheur senior en environnement à HRW, cité par le rapport. Selon cet expert, « EACOP est aussi une catastrophe pour la planète et le projet ne devrait pas être achevé ».
L’année dernière, la multinationale française avait annoncé un accord d’investissement de 10 milliards de dollars avec l’Ouganda, la Tanzanie et la compagnie chinoise CNOOC pour exécuter ce projet.
Pour produire ce document, HRW a mené plus de 90 entretiens au début de 2023, y compris avec 75 familles déplacées dans 5 districts de l’Ouganda. Il ressort de ces entrevues que l’impact des retards pluriannuels a été aggravé par des communications peu claires quant à savoir si les agriculteurs peuvent continuer à utiliser la terre pour récolter du café, des bananes et d’autres cultures commerciales dans l’intervalle.
Des endettements importants
Le projet d’acquisition de terres a ainsi causé, d’après Human Rights Watch, de graves difficultés financières à des milliers d’agriculteurs ougandais, notamment un lourd endettement des ménages, une insécurité alimentaire et une incapacité à payer les frais de scolarité, ce qui a poussé de nombreux enfants à abandonner l’école.
Les agriculteurs ont déclaré qu’ils se sentaient obligés de signer des accords d’indemnisation en anglais, une langue que beaucoup d’entre eux ne peuvent pas lire, et beaucoup ont décrit s’être vu offrir de l’argent au lieu de l’option de terres de remplacement conformément aux normes internationales.
« Les promesses non tenues de relocalisation grave et d’amélioration de la qualité de vie promises lors des nombreuses premières réunions vantant les vertus de l’EACOP ont érodé la confiance entre les communautés et TotalEnergies », souligne HRW.
« Ils viennent ici en nous promettant tout », a déclaré un habitant. « Nous les avons crus. Maintenant, nous sommes sans terre, l’argent de compensation a disparu, les champs qui nous restent sont inondés et la poussière emplit l’air », peste-t-il.
TotalEnergies s’est engagée à respecter diverses normes internationales, notamment les normes de performance de la Société financière internationale (IFC), qui exigent qu’elle et ses filiales rétablissent ou améliorent les moyens de subsistance aux niveaux d’avant la perturbation.
Le pipeline a obtenu environ 60 % de son objectif de financement. Alors que le projet recherche toujours le financement nécessaire, TotalEnergies et ses filiales devraient augmenter le montant des efforts de compensation et de rétablissement des moyens de subsistance pour être conforme aux normes des droits de l’homme, estime HRW.
TotalEnergies nie en bloc
Dans une lettre du 15 juin adressée à Human Rights Watch, TotalEnergies a déclaré qu’elle « continue d’accorder une attention particulière au respect des droits des communautés concernées » et a fourni des réponses détaillées soulignant son point de vue selon lequel l’indemnisation offerte était conforme aux normes de la SFI.
ARD/ac/APA