Alors que le Sénégal doit élire « prochainement » un nouveau président de la République, les questions de « démocratie, paix et sécurité » sont au cœur du débat public.
Le Sénégal emprunte un tournant décisif à l’approche de l’élection d’un cinquième président de la République. À cette occasion, d’éminents acteurs de la société civile ont lancé ce vendredi à Dakar un colloque sur l’état de la démocratie et l’Etat de droit. Le débat, animé par des personnalités telles qu’Alioune Tine et Ousmane Sène, dirigeants de groupes de réflexion, ainsi qu’Amsatou Sow Sidibé, professeure de droit, a porté sur les « compromis autour de l’Etat » et les « compromis autour du Droit » au moment où la démocratie sénégalaise est à la croisée des chemins.
En effet, le chef de l’Etat sénégalais sortant, Macky Sall, convie les acteurs politiques et les forces vives de la nation, à partir de la semaine prochaine, à un dialogue national de « pardon » et de « réconciliation » qui devrait aboutir sur un projet de loi d’amnistie sur les faits qui ont occasionné des pertes en vies humaines et matérielles entre mars 2021 et juin 2023, à l’occasion des violentes manifestations liées aux problèmes judiciaires de l’opposant incarcéré Ousmane Sonko.
La cérémonie sera surtout mise à profit pour fixer la date de l’élection présidentielle même si seize des dix-neuf candidats retenus par le Conseil constitutionnel ne sont pas d’accord sur le format retenu par le président de la République, qu’ils appellent à organiser le scrutin avant le 2 avril prochain et passer la main à son futur successeur. Ces différentes questions ont retenu l’attention de Mme Sidibé, ancienne candidate à la présidentielle, qui s’alarme de l’état de la démocratie dans son pays.
Une démocratie « violentée »
« Dans le contexte actuel du Sénégal, on observe que la démocratie et l’Etat de droit sont attaqués de toutes parts. Il nous faut trouver les réponses pour un retour à la normale. Parce que ce pays a besoin de stabilité et de paix. Il faut respecter le droit dans son élaboration qui doit être consensuelle, un travail d’ensemble avec tous les acteurs de la société », a souligné la militante des droits humains, rappelant que la démocratie et l’Etat de droit « sont une quête permanente » pour chaque pays démocratique.
Dans ce cadre, la professeure de droit à la retraite dit comprendre le fait « que l’on parle de compromis, mais sans compromission ». Elle regrette cependant ce qui s’est passé le 6 février dernier à l’Assemblée nationale lors du vote de la proposition de loi pour le report de la présidentielle du 25 février au 15 décembre 2024, une loi « anticonstitutionnelle » finalement annulée par le Conseil constitutionnel. Mais en amont, « il y a eu une présence massive de forces de défense et de sécurité qui ont évacué les députés de l’opposition de la salle. La loi a été votée sans débat. C’est inadmissible », s’est indignée Amsatou Sow Sidibé.
Au cours des discussions, Alioune Tine, fondateur d’Afrikajom center, un des médiateurs entre le pouvoir et l’opposition radicale incarnée par Ousmane Sonko pour la décrispation de l’espace politique sénégalais, a insisté « sur la nécessité de dialogue ». Une position partagée par le directeur du Centre de recherches ouest-africain (Warc), Ousmane Sène. « La démocratie ne peut pas exister sans paix et sécurité », a rappelé ce dernier, précisant que le dialogue et la discussion, qui sont « dans la tradition du Sénégal », « s’engagent » en ce moment entre les différents acteurs de la stabilité.
« Victoire de la démocratie »
Malgré les difficultés dans l’application de l’Etat de droit, le professeur de droit Papa Ogo Seck, président de l’Association des juristes africains (AJA), note que le modèle démocratique sénégalais est tel le roseau qui plie mais ne rompt pas. Saluant la décision du président Macky Sall de « se soumettre au droit » en s’engageant à appliquer « pleinement » la décision de la haute instance juridictionnelle l’enjoignant à organiser le scrutin présidentiel « dans les meilleurs délais », il souligne que cette posture est « une victoire de la démocratie sénégalaise, une victoire dans le combat pour le droit ».
« La démocratie sénégalaise est à géométrie variable. On pense souvent qu’on est dans une dictature mais ce n’est pas le cas. Les poteaux qui tiennent la démocratie sénégalaise sont solides. Malgré les fluctuations, il y a toujours un retour à cette démocratie. Et c’est comme cela que se manifestent la grandeur et l’exception sénégalaises », a indiqué M. Seck, professeur titulaire des universités et spécialiste de l’histoire politique.
Outre les panels sur les nouvelles menaces sur la situation sécuritaire en Afrique de l’ouest et sur l’originalité des systèmes démocratiques africains, le colloque, qui se poursuit jusqu’à demain samedi, examinera « les nouvelles pathologies de la démocratie » dans cette région et l’exemple du Sénégal dans la particularité de la démocratie africaine avant d’aborder les thèmes pour « repenser la démocratie » sur le continent.
ODL/te/APA