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L’essentiel des armes à feu trafiquées dans la région sont achetées en Afrique selon le nouveau rapport de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC).
APA-Dakar (Sénégal) Par Abdourahmane Diallo
Il ne faut pas aller loin pour trouver l’origine du mal. La plupart des armes à feu qui circulent illégalement dans le Sahel proviennent du continent noir. C’est du moins la conclusion du nouveau rapport de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) parvenu à APA.
« Bien qu’il existe des preuves de trafic d’armes à feu à longue portée vers le Sahel, y compris par voie aérienne depuis la France et la Turquie via le Nigeria, il semble que la grande majorité des armes à feu trafiquées dans la région soient achetées en Afrique », indique le document intitulé « Trafic d’armes à feu au Sahel : évaluation de la menace de la criminalité transnationale organisée ».
Le texte révèle que « le détournement d’armes des forces armées nationales – que ce soit par la capture sur le champ de bataille, le vol dans les armureries ou l’achat à des éléments corrompus de l’armée – est aujourd’hui la principale source d’armes à feu dans les pays du Sahel ».
Ainsi, l’afflux d’armes à feu au Sahel depuis la Libye, après la chute de Mouammar Kadhafi, a alimenté le Mali au début du conflit en 2012. Ce commerce illicite a ralenti en raison de la guerre civile en Libye, mais ce pays est redevenu en 2019 un point d’approvisionnement en armes nouvellement fabriquées, souligne l’étude.
Celle-ci ajoute que des fusils d’assaut de type AK-47, y provenant, sont disponibles sur le marché noir dans les régions de Gao, Tombouctou et Ménaka, dans le Nord du Mali. Les points de vente, rapporte l’ONUDC, sont souvent situés dans des villes et villages le long de corridors stratégiques où il y a une faible présence de l’État.
Partant de l’idée selon laquelle de nombreux conflits dans la région ont une dimension ethnique, l’organisme onusien estime que les groupes criminels peuvent alors préférer vendre ou transférer des armes à feu à des co-ethniques dans d’autres pays. Des commerçants à la recherche de surprofits seraient également des acteurs de cette activité illicite.
Néanmoins, relativise la source, dans certains cas, des armes similaires ont été confisquées à des groupes très différents, suggérant qu’ils partagent une source d’approvisionnement commune ou qu’ils échangent des armes à feu.
Fait surprenant, les groupes extrémistes violents ne sont pas impliqués, d’après le rapport, dans le trafic d’armes à feu au Sahel. Cependant, relève le document, ils peuvent avoir une relation « client-vendeur » avec les communautés et les autres groupes armés avec lesquels ils interagissent. Ce faisant, ils ne sont susceptibles de recevoir qu’un avantage financier indirect de l’utilisation de ces armes plutôt que de leur trafic.
Au Sahel, l’insurrection jihadiste est le fait de deux mouvements principalement : le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (Gsim) affilié à Al Qaïda et la province sahélienne de l’État islamique, connue auparavant sous le nom de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS).
En outre, note la recherche, les armes faisant l’objet d’un trafic au Sahel sont aussi transportées dans les pays côtiers de l’’Afrique de l’Ouest et utilisées dans des attaques terroristes dans le golfe de Guinée.
Prédominance des armes artisanales
En Afrique de l’Ouest et du Centre, la fabrication artisanale d’armes à feu existe depuis longtemps. Le Burkina Faso estimait que 60 % des armes à feu saisies dans le pays en 2016-17 étaient localement confectionnées.
Au Nigeria, d’après une enquête nationale sur les armes légères et de petit calibre, 17 % des ruraux et 10 % des urbains détenteurs d’armes dans le pays possèdent des armes artisanales. « Alors que les mouvements extrémistes violents liés à Al-Qaïda et à l’État islamique sont plus susceptibles d’utiliser des armes fabriquées industriellement, d’autres groupes armés non étatiques, tels que les chasseurs traditionnels et les milices communautaires, peuvent préférer les armes artisanales parce qu’elles sont moins chères », fait savoir le rapport de l’ONUDC.
Par exemple, affirme l’étude, les prix du marché noir au Nord Mali pour les armes de type AK-47 variaient entre 750 et 1300 dollars en 2021 selon le modèle et l’état avec des cartouches se vendant environ 0,70 dollar chacune.
Au Niger, les armes à feu similaires s’échangeaient contre 1200 à 1400 dollars aux alentours de Tahoua (Ouest), 1600 dollars dans les environs de Maradi et Zinder (Sud) et jusqu’à 2500 dollars autour de Diffa et Maïné-Soroa (Sud-Est). Au Burkina, des fusils d’assaut seraient disponibles sur le marché noir pour environ 1700 dollars.
Face à cette prolifération, l’ONUDC plaide pour une politique plus forte des États et un recours aux outils de collecte de données mandatés par les nations, tels que le questionnaire sur les flux d’armes illicites (IAFQ). Ceux-ci fournissent un cadre qui peut faciliter le renforcement ou la création d’un système national de données sur le trafic d’armes à feu et les échanges d’informations visant à améliorer la compréhension des itinéraires de trafic régionaux et internationaux.
De plus, suggère l’organisme onusien, une proactivité accrue de la part des praticiens de la justice pénale est nécessaire pour aller au-delà des armes à feu et donner la priorité à l’objectif d’enquêter et de poursuivre l’activité de trafic illicite. Enfin, il est important d’accroître la coopération internationale dans l’application de la loi et les poursuites afin de garantir des enquêtes appropriées sur les armes à feu, conclut le rapport.
ARD/id/ac/APA