APA-Dakar (Sénégal) Par Abdourahmane Diallo
Dans cette interview, Sabine Mensah, Directrice Générale Adjointe d’AfricaNenda, partage son analyse sur les défis rencontrés par les femmes en matière d’accès aux systèmes de paiements instantanés inclusifs en Afrique, soulignant l’importance de stratégies innovantes pour favoriser une inclusion financière numérique plus équitable.
1- Quels sont les principaux obstacles auxquels les femmes sont confrontées en matière d’accès aux systèmes de paiements instantanés inclusifs (SPI) dans les économies africaines, en particulier en ce qui concerne l’accès aux technologies et aux services financiers de base ?
Il y a deux types d’obstacles : ceux liés à l’accès aux services financiers et ceux liés à l’utilisation des services financiers. Les premiers incluent les difficultés pour certaines femmes de posséder des documents d’identification ou encore un téléphone portable et l’accès à l’internet. Pour ce qui est de l’utilisation des services financiers, on peut noter les défis liés aux compétences numériques, aux capacités financières et à l’inadéquation de certains services proposés par rapport aux besoins financiers spécifiques des femmes.
Sur le plan de l’éducation financière, les femmes sont moins susceptibles d’acquérir des connaissances financières, ce qui peut limiter leur indépendance financière. Ce manque d’expérience et d’exposition les rend craintives parfois par rapport à la fraude et à la confidentialité des données. Lors de notre recherche de marché pour le rapport sur l’état des lieux des systèmes de paiements instantanés inclusifs, les femmes interrogées au Cameroun et au Sénégal ont fait état d’une plus grande exposition aux risques de fraude et au risque pesant sur la confidentialité des données, d’où leur hésitation à utiliser les paiements numériques.
Au Maroc, les femmes invoquent le manque de sources de revenus indépendantes pour justifier la faible utilisation des paiements numériques. Les femmes que nous avons interrogées au Rwanda et au Malawi ont également invoqué que le faible niveau d’alphabétisation constituait un obstacle important à l’accès aux paiements numériques et à leur utilisation.
Enfin, certaines normes sociales impliquent des barrières additionnelles pour les femmes : par exemple, dans six pays d’Afrique, il leur est légalement interdit d’ouvrir un compte bancaire sans le consentement de leur mari (Banque mondiale, 2023a)
2- Comment les inégalités persistantes, voire aggravées, telles que l’accès limité au téléphone, à l’internet et aux documents d’identité légaux, ainsi que l’absence de compte bancaire, impactent-elles la capacité des femmes à bénéficier pleinement des avantages des SPI ?
Les statistiques sont très parlantes en la matière. Pour ce qui est de l’identité, il est clair que pour ouvrir un compte quel qu’il soit, une pièce d’identité est presque systématiquement requise. Les femmes en Afrique subsaharienne sont plus susceptibles que les hommes de ne pas posséder de papiers d’identité. Un exemple concret en Afrique de l’Ouest : Au Nigeria, 17 % des femmes interrogées, contre 11 % des hommes, ont invoqué le manque de documentation comme un obstacle à l’ouverture d’un compte d’argent mobile (GSMA, 2023a). Les femmes n’ont bien souvent pas accès aux téléphones portables, aux réseaux mobiles et à l’internet.
D’après le rapport GSMA The mobile gender gap in Africa, 69 % des femmes en Afrique subsaharienne ont accès ou possède un téléphone mobile contre 82 % chez les hommes, et 29 % de femmes utilisent l’internet contre 49 % chez les hommes. Même au Kenya, pays où l’adoption de l’argent mobile est la plus forte parmi les pays d’Afrique subsaharienne, 88 % des femmes possèdent un téléphone portable, contre 93 % des hommes (GSMA, 2023a). Le gap genre en matière d’accès à un compte bancaire ne s’est pas amélioré au cours des 10 dernières. Il s’est au contraire exacerbé avec la pandémie de covid 19.
La résultante est que moins de femmes ont l’opportunité de pouvoir utiliser les SPII existants pour sécuriser leur épargne et accéder à des ressources supplémentaires via les crédits. En effet, sur les plus de 400 millions d’adultes exclus des services financiers formels en Afrique, la majorité, soit 60 % sont des femmes.
3- Quelles stratégies AfricaNenda envisage-t-elle de mettre en œuvre pour surmonter ces obstacles et favoriser une inclusion financière numérique plus importante des femmes dans les systèmes de paiement instantanés ?
Il faut reconnaître qu’il y a plusieurs segments de femmes : la femme d’affaire, la professionnelle employée, la femme au foyer, l’étudiante, l’employée de maison, etc. Il est vraiment important d’identifier les besoins de chacune, afin d’offrir les services les plus adaptés et abordables ainsi qu’une proposition de valeur incontournable pour favoriser l’adoption des services financiers. Il est nécessaire qu’on y travaille en collaboration avec tous les acteurs de l’écosystème (gouvernements, régulateurs, fournisseurs de service, ONG, partenaires techniques et financiers et acteurs du développement…).
Pour notre part, à AfricaNenda, nous estimons que les systèmes de paiements instantanés et inclusifs peuvent jouer un rôle central dans la création d’un accès universel aux services financiers pour de nombreux adultes financièrement exclus, et plus particulièrement les femmes. Nous agissons en tant que conseiller pour les gouvernements, les communautés économiques régionales et les associations du secteur privé à travers l’Afrique.
Nous renforçons les capacités des institutions Africaines, des experts en paiements et d’autres importantes parties prenantes pour soutenir le développement et la croissance des systèmes de paiements instantanés et inclusifs. Nous fournissons également de l’assistance technique et un soutien essentiel à la planification avant-projet pour élargir le portefeuille de projets de systèmes de paiements instantanés et inclusifs en Afrique.
4- En se basant sur les conclusions du dernier rapport sur les SPI inclusifs publié par AfricaNenda, quelles sont les recommandations clés pour les gouvernements, les institutions financières et les organisations de la société civile afin de promouvoir une participation équitable des femmes dans l’économie numérique grâce aux SPI ?
Nous recommandons aux gouvernements et aux régulateurs d’établir des exigences en matière de collecte de données ventilées par sexe pour les rapports financiers des institutions bancaires et non bancaires. De plus, nous encourageons la réalisation d’enquêtes représentatives au niveau national, notamment en adoptant délibérément une approche incorporant la dimension de genre, afin de mettre sur pied des stratégies appropriées et des actions concrètes pour accélérer l’inclusion financière et numérique des femmes.
Il est aussi crucial de digitaliser les paiements du gouvernement aux personnes, particulièrement les paiements sociaux à travers les systèmes de paiements instantanés inclusifs nationaux, et d’élaborer des programmes de subventions pour favoriser le déploiement et l’adoption des smartphones, tout en investissant dans l’éducation financière et numérique des femmes.
Par ailleurs, nous recommandons aux institutions financières de collecter et analyser davantage de données transactionnelles ventilées par sexe. De plus, il est essentiel qu’elles s’appuient sur les réseaux d’agents, y compris les agents de sexe féminin, pour favoriser l’adoption par les femmes, les mettre en confiance et les familiariser avec les paiements numériques.
En parallèle, nous préconisons d’améliorer les activités de promotion sur le marché et les fonctionnalités de produits offerts pour mieux les adapter aux différents segments de femmes. Pour ce qui est de la société civile et des organismes de développement, nous les encourageons à soutenir les actions d’éducation financière et digitale de masse pour les femmes, ainsi que les stratégies des secteurs public et privé visant à accroître le déploiement et l’adoption des smartphones.
Un investissement soutenu dans l’éducation numérique et financière, des mesures incitatives pour faciliter l’accès au téléphone mobile et l’internet, le développement des aptitudes pour soutenir le commerce à l’ère du numérique, sont des mesures nécessaires pour s’assurer que la majorité des femmes aient les outils nécessaires pour tirer parti de l’économie numérique.
Cet investissement doit être accompagné par la mise en place de systèmes de paiements numériques instantanés, interopérables et inclusifs pour nous permettre de réaliser l’accès universel aux services financiers pour toutes les Africaines et les Africains d’ici 2030.
ARD/te/APA