La Russie et la Chine cherchent peut-être à resserrer leurs liens pour se protéger de l’hégémonie mondiale de l’Occident, mais l’influence croissante de l’Afrique est venue s’ajouter aux recettes des relations géopolitiques en constante évolution.
Lors des réunions passées entre certaines des plus grandes puissances mondiales, il n’a guère été jugé utile de mentionner, ne serait-ce qu’en passant, l’Afrique et de lui accorder une importante dans l’ordre international des choses.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui !
L’influence grandissante de ce continent de 1,3 milliard d’habitants est principalement due à l’importance croissante de son rôle de fournisseur de terres rares convoitées dans le système commercial mondial, à l’expansion de sa diaspora, à une population dynamique et majoritairement jeune (70% ont moins de 30 ans) et à un attrait culturel qui prend le monde d’assaut.
Le reste du monde a les yeux rivés sur l’Afrique, notamment parce qu’elle trouve lentement mais sûrement sa voix, là où il n’y en avait pas et qu’elle s’impose comme la dernière barrière commerciale et diplomatique à franchir.
La visite à Moscou du président chinois Xi Jinping pour des discussions approfondies avec le président russe Vladimir Poutine, dans le contexte du conflit prolongé en Ukraine, est caractérisée par le fait que les deux puissances ont l’Afrique bien en vue, alors qu’elles s’apprêtent à lancer une offensive diplomatique pour rallier
le reste du monde à leur cause afin de contrer l’influence de l’Occident.
L’Afrique en tant que bloc commercial prend de l’ampleur aux yeux de Moscou et de Pekin, deux puissances qui ne peuvent plus prétendre que le deuxième continent du monde en termes de superficie n’a rien d’important à offrir dans l’arène de la diplomatie internationale pour faire pencher la balance en leur faveur.
Nous vivons une époque de concurrence mondiale exacerbée pour les influences géopolitiques qui, dans leurs rivalités féroces, n’ignorent aucune région du monde, et surtout pas l’Afrique, qui apparaît de plus en plus grande et de mieux en mieux dans la ligne de mire de leurs trajectoires diplomatiques respectives.
Les deux puissances asiatiques sont membres des économies émergentes du club exclusif des BRICS, qui comprend le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, la première puissance économique du
continent.
Le Mexique, l’Indonésie, le Nigeria et la Turquie font partie d’un club d’économies émergentes de deuxième niveau appelé MINT.
Les échanges commerciaux cumulés de la Russie et de la Chine avec l’Afrique représentent presque le triple de l’engagement commercial des Etats-Unis avec les pays du continent.
En termes commerciaux, l’Afrique, avec un PIBde 3,14 billions de dollars, représente 12% du marché d’approvisionnement mondial de la Chine, tandis que les exportations russes vers le continent ont
atteint 25 milliards de dollars en 2019, les prévisions suggérant une augmentation au cours des deux prochaines années.
Les deux pays asiatiques organisent leurs propres sommets avec l’Afrique, des rencontres qui, ces dernières années, ont pris de l’ampleur en tant qu’événements phares du calendrier, accréditant la réputation croissante des pays du continent, qui sont passés du statut de partenaires commerciaux négligeables à celui de partenaires
commerciaux à part entière.
Outre la synchronisation des relations commerciales entre Moscou et Pékin, Poutine et Xi, qui ont un œil avide sur l’Afrique, se sont engagés à « renforcer la communication et la coordination sur les affaires internationales, en particulier au sein de l’ONU, de l’Organisation de coopération de Shanghai, des BRICS et d’autres cadres multilatéraux, à pratiquer un véritable multilatéralisme, à s’opposer à l’hégémonisme et à la politique de puissance, à contribuer à la reprise économique mondiale post-Covid, à faire progresser la tendance vers un monde multipolaire et à promouvoir la réforme et l’amélioration du système de gouvernance mondiale ».
La dernière ruée sur l’Afrique est de plus en plus perçue comme une chasse au trophée trop belle pour être manquée, et la ruée s’accélère donc, personne n’étant prêt à se laisser distancer.
En janvier 2023, les grandes puissances, dont les Etats-Unis, la Chine et la Russie, ont souligné l’ampleur de leur ruée du 21ème siècle sur d’immenses portions du continent en organisant des tournées éclair dans les capitales africaines pour revendiquer tout ce que les nations africaines avaient à leur offrir en termes d’accords, qu’il s’agisse de commerce équitable, de pétrole et de gaz, de lutte contre le terrorisme, de cybersécurité, d’atténuation du changement climatique ou de soutien diplomatique à l’ONU.
Le fait que les trois ministres des affaires étrangères aient fait coïncider leur visite avec leur présence réciproque en Afrique en dit long sur la façon dont le continent est soudain devenu la jeune filleproverbiale en compagnie de soupirants qui gravitent autour de la puissance rayonnante de sa beauté retrouvée, comme s’ils l’avaient
manquée lors de sa précédente incarnation.
La France, inquiète de perdre son prestige qu’elle considérait comme acquis, en particulier dans ses anciennes colonies africaines, a également pris ses distances, dans un contexte de sentiments anti-français très marqués au Burkina Faso, au Mali et en République centrafricaine, entre autres « Etats satellites renégats de la Françafrique ».
L’Afrique a développé sa propre influence multipolaire dans le monde, ce que la Russie et la Chine pourraient trouver utile dans leur quête d’une nouvelle contre-culture durable face à l’hégémonie de longue date de l’Occident, qui n’aurait pas pu être plus menacée par les géants asiatiques.
Les marines russe et chinoise ont rejoint leurs homologues en Afrique du Sud pour des exercices maritimes qui ont été sévèrement condamnés dans les capitales occidentales, de plus en plus inquiètes de la manière dont ces deux géants asiatiques s’acoquinent avec les gouvernements africains.
Cela soulève la question du rôle du groupe de mercenaires russes Wagner dans un certain nombre de pays d’Afrique de l’Ouest, notamment au Mali, où l’on compte sur eux pour lutter contre une insurrection vieille de dix ans menée par des djihadistes.
Les pays africains et leurs représentants sont des membres à part entière d’un réseau de plus en plus étendu de forums internationaux dont Moscou a cherché à obtenir le soutien dans sa guerre contre l’Ukraine.
A quelques exceptions près, comme le Ghana qui a condamné sans réserve Moscou pour la guerre, le reste de l’Afrique, sans prendre tacitement parti, s’est abstenu de critiquer ouvertement les deux protagonistes du conflit, laissant peu de choses à l’imagination des belligérants quant à leur manque de volonté d’aller au-delà du langage diplomatique pour aider à mettre fin à la crise qui dure depuis un an.
Les pays africains entretiennent également des liens commerciaux étroits avec l’Ukraine, mais n’ont pas réussi à éviter une position qui favoriserait l’une des parties au détriment de l’autre. Cela ne veut pas dire que les pays africains ne couvrent pas leurs risques dans le conflit.
« C’est une période prestigieuse pour les Africains, car notre continent est soudain considéré avec un certain respect par des puissances qui nous méprisaient, parce que que nous leur demandions del’aide et des conseils », déclare un analyste géopolitique nigérian.
Il ajoute qu’après tant de fausses aubes caractérisées par des réalités géopolitiques fortement défavorables à ses habitants, l’heure de gloire de l’Afrique n’arrivera jamais assez tôt.
WN/as/fss/APA