Le maire de Ziguinchor (sud) a été nommé mardi soir Premier ministre du Sénégal par le nouveau président, Bassirou Diomaye Faye.
Après huit ans de farouche opposition au pouvoir du président Macky Sall, Ousmane Sonko a réussi à porter au sommet de l’État sénégalais les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef, formation dissoute en juillet dernier). Le choix qu’il a porté sur Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, comme candidat de substitution de l’ex-Pastef, a porté ses fruits le 24 mars dernier. Ce jour-là, son protégé a été élu haut la main avec 54% des voix dès le premier tour, devenant le cinquième président du Sénégal. Neuf jours plus tard, mardi 2 avril, à peine installé dans ses fonctions de Président de la république, le lieutenant propulse le mentor, son aîné de cinq ans, au poste de Premier ministre.
Dépeint comme le père du Projet « pour un Sénégal souverain, juste et prospère dans une Afrique en progrès », le nouveau chef du gouvernement sénégalais a réussi à asseoir ses idées de manière fulgurante au prix de dures épreuves.
Sa révocation de la fonction publique, en août 2016, pour manquement à l’obligation de discrétion professionnelle, a donné comme un coup d’accélérateur à sa carrière politique, puisque l’ex-inspecteur des impôts et des domaines est élu un an plus tard député à l’Assemblée nationale.
Il bâtit sa réputation sur les révélations de « malversations » sur certains marchés de l’Etat. Les scandales soulevés autour du foncier, des exonérations fiscales et des ressources naturelles, telles que les hydrocarbures, font vite sa publicité. Les deux livres qu’il publie en 2018, « Pétrole et gaz au Sénégal : Chronique d’une spoliation » et « Solutions », convainquent une grande partie de l’opinion qui adhère rapidement à ses propositions pour résoudre les problèmes sociaux et économiques du Sénégal.
Bourreau du « système »
Dans ces ouvrages, Sonko théorise la notion de « système » qui constitue, pour lui, une convergence d’intérêts entre une infime minorité des élites sénégalaises (hommes politiques, fonctionnaires, hommes de médias, lobby maraboutique…) qui fait main basse sur les ressources du pays. Le discours séduit, immédiatement, un grand nombre de jeunes dans une population où le taux de chômage est assez élevé. Ousmane Sonko se présente à l’élection présidentielle en 2019 et récolte 687.000 voix, soit 15,76% des suffrages. Un exploit qui le place à la troisième place dans ce scrutin, le premier du genre auquel il se présente.
Entre-temps, devenu le principal opposant au pouvoir du président Macky Sall, il voit subitement surgir une affaire qui va le placer définitivement au centre de la scène politique au Sénégal. C’est « l’affaire Adji Sarr », du nom de cette jeune employée d’un salon de massage dakarois qui l’accuse de viols répétés et menaces de mort. Une plainte est déposée contre lui à la gendarmerie. Sa garde à vue, intervenue quelques mois plus tard, déclenche une série de manifestations violentes à travers le pays. Ses partisans crient au « complot » d’Etat pour éliminer leur candidat de la course à l’élection présidentielle de 2024.
Sonko ne perd pas pour autant ses droits civiques. Il se porte candidat aux élections municipales de janvier 2022 sous la bannière de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW, libérer le peuple). Il devient maire de Ziguinchor (Sud) et parvient, à travers la campagne nationale qu’il a menée, à influencer le vote de plusieurs personnes pour d’autres candidats de la coalition YAW. Celle-ci rafle plusieurs grandes villes du pays, dont la capitale Dakar. Il reproduit le même procédé aux élections législatives, tenues six mois plus tard. Il y parvient avec les députés du Parti démocratique sénégalais (PDS) à décrocher presque la moitié des 165 sièges du parlement.
Flair politique
Arrêté et emprisonné fin juillet 2023 en application de sa condamnation à deux ans ferme pour « corruption de la jeunesse » contre Adji Sarr – un jugement prononcé un mois auparavant par une chambre criminelle spéciale du tribunal de Dakar -, Ousmane Sonko voit les dossiers pouvant handicaper sa candidature à la présidentielle de 2024 se corser. En plus des affaires liées aux manifestations politiques qui ont occasionné des dizaines de morts depuis 2021, c’est sa condamnation pour diffamation qui pousse le Conseil constitutionnel à invalider son dossier de candidature en janvier dernier.
En revanche, Ousmane Sonko a le flair de désigner le secrétaire général de l’ex Pastef, Bassirou Diomaye Faye, lui aussi inspecteur des impôts et domaines, pour représenter la formation dissoute au scrutin présidentiel. À l’époque, les deux hommes sont détenus en prison.
Arrêté onze mois plus tôt pour un post Facebook perçu comme un outrage à magistrat, Bassirou Diomaye Faye n’a pas été jugé pour le chef d’inculpation. Son casier judiciaire restant alors vierge, le Conseil constitutionnel est contraint de valider sa candidature.
Malgré une interruption du processus électoral de plus d’un mois, Ousmane Sonko sort de prison en compagnie de son candidat. Cette liberté est rendue possible après le vote par les députés d’une loi d’amnistie, le 6 mars. Il en profite pour sillonner le pays menant une campagne qui dure moins de dix jours. Face à des publics acquis, il réussit à imposer Bassirou Diomaye Faye, réputé moins charismatique, mais « plus structuré ». Le remplaçant est élu au premier tour, le 24 mars, avec un taux de plus de 54%, devançant nettement son principal rival, le candidat du pouvoir Amadou Ba (35%), ne laissant que des miettes aux dix-sept autres candidats.
« Lourde responsabilité »
Lors de la cérémonie de prestation de serment du président Faye mardi à Diamniadio, près de Dakar, où il était l’attraction de beaucoup d’invités, y compris les chefs d’Etats africains présents, le maire de Ziguinchor est apparu sobrement vêtu derrière le nouveau chef de l’Etat.
Sur la télévision nationale RTS, Ousmane Sonko déclare prendre sa nomination au poste de Premier ministre comme un sacerdoce, rappelant la promesse qu’il avait effectuée lors du dernier meeting de campagne de la coalition Diomaye Président. C’était dans le département de Mbour (100 kilomètres de Dakar). Il avait alors indiqué, dans un stade comble, qu’après avoir réussi à faire élire le candidat Diomaye Faye, « il ne sera pas question de le laisser seul assumer cette lourde responsabilité » de chef de l’Etat.
« Nous articulons notre action autour de la citoyenneté et la responsabilité collective comme le démontre cette formidable jeunesse sénégalaise à travers les actions de nettoiement des artères des différentes villes du Sénégal » constatées ces derniers jours, a souligné le nouveau chef du gouvernement sénégalais.
« Nous ne ménagerons aucun effort pour atteindre les objectifs promis au peuple sénégalais, c’est-à-dire la rupture, le progrès et le changement définitif dans le bon sens », a promis le président de l’ex Pastef. Un discours qui plaît beaucoup dans les milieux des militants souverainistes à travers le continent africain.
ODL/te/APA