Au Sénégal, le Conseil constitutionnel a pris le contre-pied du président Macky Sall et de l’Assemblée nationale en estimant que le report de l’élection présidentielle du 25 février 2024 est « contraire » à la loi. Enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis, située au nord du pays, Moussa Diaw analyse pour APA cette décision de la haute instance qui génère d’énormes conséquences politiques avant d’indiquer la meilleure voie au président Sall pour sortir de cette crise.
Comment analysez-vous la décision du Conseil constitutionnel sénégalais d’annuler le décret du chef de l’Etat abrogeant la convocation du corps électoral et le report de la présidentielle voté par le parlement ?
Le Conseil constitutionnel en annulant la loi et le décret, précités, a dit le droit où il était attendu pour réhabiliter l’Etat de droit et de la démocratie. Les décisions du Conseil Constitutionnel permettent de fixer les principes et les règles pour se conformer à la loi fondamentale, c’est-à-dire la Constitution. Il contribue à calmer le jeu politique en donnant des directives conformément au cadre constitutionnel et politique. Ainsi, il renvoie l’Exécutif à ses responsabilités de respecter les décisions de cette haute instance de régulation de la conformité des lois. Malgré quelques critiques à son encontre, le Conseil constitutionnel vient de renforcer son image et son rôle dans l’équilibre des pouvoirs et de veiller à la stabilité juridique et politique du pays.
Quelles sont les conséquences politiques pour le Parti démocratique sénégalais (PDS) dont les députés, soutenus par leurs collègues de la coalition présidentielle, Benno Bokk Yakaar (unis pour un même espoir), avaient réussi à faire reporter la présidentielle au 15 décembre 2024 sous une forte tension ?
Le grand perdant dans cette manœuvre politique, c’est Benno, à travers lui le président de la République, mais aussi le PDS qui a pris le risque de jouer avec le feu dans une stratégie dont l’échec produira des conséquences désastreuses. On se rend compte que cette commission d’enquête parlementaire, initiée par Karim Wade (le candidat invalidé du PDS) avait comme objectif de reporter l’élection afin de redistribuer les cartes du jeu politique. Mais cette défaite risque de marginaliser davantage le PDS qui apparaît comme un parti habitué à des « deals politiques ». Il aura du mal à rebondir politiquement au regard de sa politique politicienne et de pratiques politiques dépassées.
Comment comprenez-vous l’expression « meilleurs délais » employée par le Conseil constitutionnel dans sa décision ? Veut-il dire que le scrutin doit obligatoirement être organisé avant le 2 avril 2024 ?
En utilisant les concepts « meilleurs délais », le Conseil constitutionnel laisse le soin à l’Exécutif de reprendre la main pour des concertations afin de choisir une date consensuelle afin d’organiser une élection qui soit conforme aux dispositions de la constitution. Évidemment, en tenant compte de la date limite du mandat du président sortant (Macky Sall), c’est-à-dire le 2 avril 2024.
Dans une interview récente avec un média américain, Macky Sall avait refusé de préciser s’il accepterait la décision du Conseil constitutionnel dans l’hypothèse où le report de la présidentielle serait annulé. Quelle doit être la meilleure posture pour lui dans ce stade du jeu politique ?
Il avait tenu ces propos mais, face aux différentes pressions et surtout au contexte politique, il n’a pas d’autre choix que d’appliquer les décisions du Conseil constitutionnel. Rappelons qu’en recevant les (candidats dits) « recalés », il leur avait dit de se confirmer aux décisions du dit conseil. Maintenant, pour ne pas entraîner son pays dans une situation d’incertitudes et de risques inutiles, il ne lui reste qu’à appliquer les décisions sans recours du Conseil constitutionnel. Ce dernier lui laisse l’initiative de proposer une nouvelle date. Auparavant, le président doit ouvrir des concertations pour fixer une date de concert avec les acteurs politiques afin de retrouver une porte de sortie de crise.
ODL/ac/APA