L’opposant tchadien, mort jeudi, est un ancien rebelle reconverti en politique.
C’est une histoire que ses familiers répètent souvent. Quand il était étudiant au Canada au début des années 2000, Yaya Dillo Djerou Betchi, l’opposant tchadien mort jeudi après avoir été grièvement blessé la veille lors d’un assaut des forces de sécurité contre le siège de son parti, aimait dire à ses amis qu’il ne fallait pas le « mettre au même rang » que ses autres compatriotes.
« Je suis appelé à jouer un grand rôle dans l’avenir de notre pays », promettait celui qui n’était alors que simple étudiant en Génie mécanique dans une université canadienne.
Pour qui connaît son histoire personnelle, les ambitions du futur ingénieur étaient tout, sauf farfelues.
«Appelé à jouer un rôle…»
Yaya Dillo était le neveu d’Idriss Deby Itno, à la tête du pays depuis 1990 après avoir chassé son ancien mentor, le président Hissène Habré, lors d’une foudroyante offensive l’ayant conduit de la frontière soudanaise à la capitale N’Djamena. Yaya Dillo qui n’était alors qu’adolescent avait activement participé à la conquête du pouvoir par son oncle.
À la différence de la majorité de ses compagnons, le jeune Yaya ne se contente pas de profiter des avantages que pourrait procurer sa proximité avec le nouveau maître du pays.
Il décide de reprendre le chemin des études. Il obtient un baccalauréat en mathématiques, puis s’envole pour l’Amérique du Nord à la fin des années 1990. Il y obtient un diplôme de Génie électrique et Télécommunication à la prestigieuse université d’Ottawa.
L’accueil au pays n’est pas conforme aux attentes du jeune ingénieur. Ignoré par son oncle, il est progressivement écarté des cercles du pouvoir, après avoir commencé à publier quelques articles critiques à l’égard du régime.
Entre-temps, le clan au pouvoir se divise. Les jumeaux Tom et Timan Erdimi, eux aussi neveux au président Déby, entrent en dissidence et lancent une rébellion armée. Yaya Dillo en devient le porte-parole.
Un différend sur la paternité de leur mouvement dénommé Socle pour le Changement, l’unité nationale et le développement (SCUD) ne tarde pas à naître entre les frères Erdimi et Dillo.
Accusé de saboter la rébellion et d’être un espion du régime, ce dernier est fait prisonnier dans leur refuge soudanais par ses cousins qui créent un autre mouvement, le Rassemblement des Forces pour le Changement (RFC).
Retour à N’Djamena
Transféré à Khartoum, capitale du Soudan, il est libéré après une intervention du président Idriss Déby Itno.
De retour à N’Djamena, il est nommé ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture, puis ministre des Mines et de l’Énergie. Il a également été plusieurs fois conseiller à la Présidence.
Un moment sans fonction, il est promu quelques années plus tard comme Représentant Résident de la Commission économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac).
A-t-il été remercié ou a-t-il démissionné? Les versions divergent.
Mais le jeune homme n’a toujours pas enterré son rêve de « jouer un grand rôle » dans son pays, comme il le promettait à ses amis étudiants lors de son séjour canadien.
Il tente de créer un parti politique. Devant les blocages de l’administration, il adhère au Parti Socialiste sans frontière (PSF) de Dinamou Daram en 2021.
Une fin presque choisie
Au nom de cette formation, il dépose sa candidature à la présidentielle d’avril de la même année où son oncle brigue un sixième mandat. Une affaire judiciaire le concernant refait surface, alors. Yaya Dillo est accusé de diffamation par la Première Dame, Hinda Déby Itno.
Son refus de se présenter à la police provoque des affrontements entre ses partisans et les forces de sécurité le 27 février 2021. Le lendemain, une unité de la garde présidentielle attaque son domicile dans le 5e arrondissement de N’Djamena. Sa mère et deux de ses cousins sont tués. Le « neveu rebelle » n’est pas arrêté. Il est exfiltré avec la complicité de quelques hauts gradés de l’armée.
Trois ans plus tard, alors que son oncle finalement mort au lendemain de son élection a été remplacé depuis avril 2022 par son fils, le général Mahamat Idriss Deby Itno, Yaya Dillo est à nouveau l’objet d’une tentative d’arrestation. Le 27 février 2024, l’interpellation d’un membre du bureau exécutif du PSF, accusé d’être impliqué dans une agression contre le président de la cour suprême, donne lieu à des affrontements entre les forces de sécurité et les partisans de Yaya Dillo. La nuit suivante, une attaque contre la direction générale de l’ANSE lui est attribuée par les autorités.
Replié avec ses hommes au siège de son parti au quartier Klémat, l’opposant est visé par un assaut des forces de sécurité. Jeudi 29 février, sa mort est annoncée par le procureur de N’Djamena. Une fin sans doute non choisie, mais presque provoquée.
CA/los/ac/APA